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Un livre de chevet plein de bédaines indécentes!
Crédit: Le Péché originel (détail) -Hugo Van Der Goes, 1470

La grossesse est à la mode. Les ventres ronds – bien moulés dans de jolis vêtements – s’affichent fièrement dans les magazines de mode et sur les réseaux sociaux. L’image de la femme enceinte est à présent « glamour » et chaque maman souhaite immortaliser cette période fugace de la vie. Mais évidemment, il n’en a pas toujours été ainsi, on s’en doute bien.

Je suis tombée sur un magnifique livre lors d’une récente virée à la BAnQ : Enceinte – une histoire de la grossesse entre art et société de l’historienne française Emmanuelle Berthiaud aux éditions de La Martinière. Je suis complètement envoûtée et je ne sais même plus par quel bout le présenter tant il est volumineux!
 

Crédit : Jacinthe Laporte
 

L’historienne nous invite à un sacré saut dans le temps, en retraçant l’expérience de la grossesse à travers les œuvres d’art de la préhistoire à aujourd’hui, des statuettes préhistoriques aux courbes généreuses… jusqu’à la procréation assistée d’une grossesse d’homme!

Un tas de photographies et œuvres d’art « fas-ci-nan-tes » (pour paraphraser Charles Tisseyre) illustrent chacun des chapitres : Entre Ève et Marie ou La grossesse cachée (traités médicaux, art, société XVe-XIXe) et enfin Vers un ventre exhibé (XXe-XXIe). Ce livre se dévore. Soit par section, soit tout au long, selon le temps dont on dispose. Saviez-vous que la valorisation de la grossesse ne date que des années 1970?

Crédi t: Livre Enceinte – une histoire de la grossesse, p. 211. (Norman Parkinson, 1973)
 

Twiggy, la mannequin brindille qui pose avec son ventre arrondi semble avoir lancé une mode qui subsiste encore de nos jours. Et qui ne se souvient pas de la fameuse (et désormais célèbre) photo de Demi Moore en couverture du Vanity Fair? Reprise et critiquée par des tas de journaux, le magazine a été censuré chez certains marchands, même s’il était vendu emballé de papier brun pour cacher la scandaleuse image d’une femme enceinte « sexy ».
 

Crédit : Livre Enceinte – une histoire de la grossesse, p. 212 (photo Clive Dixon/Rex Features) 
 

On était pourtant en 1991, mais le cliché d’Annie Leibovitz a déclenché une vraie polémique alors qu’aujourd’hui, toute célébrité enceinte est pratiquement traquée par des paparazzis assoiffés de photos de bédaines! Plus moyen de cacher sa grossesse quand on est une personnalité publique : parlez-en à Kim Kadarshian!
 
Enceinte = péché originel = enfantement dans la douleur
On y apprend que la femme enceinte est beaucoup plus représentée dans les civilisations qui précèdent le catholicisme, parce que hey! c’est la faute à Ève-cette-traînée si nous accouchons dans la douleur!

Crédit : Livre Enceinte – une histoire de la grossesse entre art et société, p. 21 (Le Péché originel (détail) / Hugo Van Der Goes, 1470.
Huile sur panneau de bois, Vienne, Kunsthistorisches museum.)

 

La grossesse est perçue comme une indécence puisqu’elle révèle une préalable partie de jambes en l’air. Je repense à ma mère (pourtant mariée) qui a dû démissionner de son poste d’enseignante au primaire à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) dès que son ventre s’est fait voir « parce qu’il fallait rester décente auprès des enfants ». C’était pour ma grande sœur, il n’y a que 50 ans de cela…

Au Moyen Âge, il n’y a que la grossesse de la vierge Marie qui trouve grâce aux yeux de l’Église (et des peintres). Mais comme chacun sait très bien que nos bébés à nous, simples mortelles, n’ont pas été l’œuvre du Saint-Esprit, on nous réserve des représentations loin de la béatitude. À preuve cette jolie gravure annonciatrice des joies de la maternité qui illustre,le dicton médiéval « Femme grosse a un pied dans la fosse. »

Crédit : Livre Enceinte – une histoire de la grossesse, p. 19.
(Danse Macabre des femmes – Une jeune mariée et une femme grosse, gravure peinte, 1491,
Guy Marchand, Paris, Bibliothèque nationale de France.)

 

Malgré des centaines d’enluminures profanes dans de nombreux parchemins non-religieux, les femmes enceintes médiévales se font rares.

Crédit : Livre Enceinte – une histoire de la grossesse, p. 26.
 

Ici, on en discerne une, issue des Très Riches Heures du duc de Berry – l’enluminure du mois de Septembre (des moissons et des fruits mûrs… Femme enceinte… fruits mûrs… Vois-tu le lien? #PourVrai). La pauvre est aux champs, comme n’importe quel travailleur, malgré son état de gestation avancé.
 
Un autre dicton populaire semble avoir la « couenne dure », parlez-en aux femmes sans enfant : « Point de fille qui ne désire devenir femme, point de femme qui ne désire devenir mère. »  Emmanuelle Berthiaud rappelle que jusqu’à dernièrement, la femme ne gagnait son statut social de «personne à part entière » qu’après avoir accouché. Avant ce moment déterminant, elle restait « fille » aux yeux de la société, même si mariée depuis longtemps. De toute façon et pendant longtemps, si une femme ne procrée pas, on l’accusera probablement de sorcellerie et on s’en débarrassera : sort réservé à de nombreuses reines infertiles au fil de l’histoire!
 
Les images de femmes enceintes sont sacrées et laissent souvent voir Jésus in utero. À partir des premières croisades au IXe siècle, les peintres ont vu ce type de représentation de l’Orient et s’en sont inspirés, puis les médecins ont pris le relais : voir un enfant dans l’utérus? Quelle bonne idée!
 

Crédit: Livre Enceinte – une histoire de la grossesse p. 27.
(Enluminure Livre de dévotion, Italie, XVe, Lyon,
bibliothèque municipale, département des manuscrits, 168, fol.216.)

 

La grossesse cachée, mais disséquée (du XVe au XIXe siècle)
Tout au long des siècles et malgré les courants de pensée, les grossesses sont généralement cachées dans l’espace public par des robes amples et des corsets.

Crédit: photomontage Jacinthe Laporte issu livre Enceinte – une histoire de la grossesse. Haut gauche: p.194  (dessin de A. Léger, publicité ceinture Scandale dans Le Guide de la jeune mère, 1947, huitième édition.) Haut droite: p.93  (Nada, Futures mamans, dessin illustrant L’Art et la mode, 26 octobre 1901, p. 846, Paris, bibliothèque Forney). Bas gauche: p. 86 (Robe habillée, vers 1869, Paris musée de la mode de la ville de Paris.) Bas droite: p. 101 (Catalogue Rainal Frères, fascicule n3, fig. 2009, Paris, 1907.)
 

Mais elles sont disséquées par les médecins derrière les portes closes des facultés de médecine. Surtout à la Renaissance, avec un engouement certain pour les curiosités de la nature…
 

Crédit : Livre Enceinte – une histoire de la grossesse, p.115 (Mannequins anatomiques dits La Maternité, XVIIe,
ivoire, Écouen, musée national de la Renaissance.) 

 
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les docteurs relatent volontiers toutes les naissances monstrueuses et expliquent leur cause : le plus souvent les mœurs ou comportements de la mère. On tente de comprendre comment le corps féminin fonctionne, comment le lait arrive aux mamelles (par un cordon qui relie l’utérus aux seins, évidemment!).

Les temps changent, mais le mystère et tabou de l’enfantement perdure. Au XXe, l’auteure recense les publicités, les films, les photographies et les œuvres de peintres contemporains comme Frida Khalo ou Marc Chagall. Presque toutes ont fait scandale au moment de leur sortie. Plus ça change, plus c’est pareil!

***

Ce livre ne cesse de m’émerveiller. J’y ai passé des heures et des heures et je ne l’ai même pas encore terminé. Si votre shower approche et que vous ne savez pas quoi demander, Enceinte – une histoire de la grossesse entre art et société fera une lecture de chevet passionnante et surtout, il remonte le moral : il est si bon d’être enceinte à notre époque plutôt qu’à celles de nos aïeules!

Disponible chez Archambault (à plus de 80 $ – aïe), il est cependant gratuit pendant 3 semaines à la grande bibliothèque (BAnQ) du métro Berri-UQAM à Montréal et peut-être ailleurs!

Enceinte – Une histoire de la grossesse entre art et société
Emmanuelle Berthiaud
De La Martinière
Paris, 2013, 240 pages
 

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