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Chère petite mutante : lille mutant kære
Crédit: Hongrie-circa 1981 : timbre imprimé par la Hongrie, montre la Croix Rouge et les véhicules d'ambulance, vers 1981 — Image de rook76

Chère petite mutante (lille mutant kære en danois), ma belle petite bambine d’amour…

C’est aujourd’hui un des plus beaux jours de ma vie, je crois, après celui de ta naissance : tu n’as pas la leucémie que les médecins te cherchent dans les veines depuis plusieurs semaines.

Crédit : Jacinthe Laporte
 

Il était une fois, un cauchemar commencé il y a 9 mois quand on nous a annoncé que les tests faits pour des petites convulsions alors que tu étais tout bébé s’avéraient anormaux. QUOI? On nous avait pourtant dit qu’on allait nous prévenir si quoi que ce soit avait besoin de suivi!

C’était juste avant Noël. L’hôpital était tout près du Centre-Ville dans ce temps-là et comme nous allions à ton suivi médical régulier, je t’avais mis ta belle petite robe pour prendre des photos de Père-Noël après le rendez-vous. Sauf que nous n’avons pas pu sortir comme prévu ce jour-là. Et quand j’ai finalement refranchi les portes de cet hôpital pour enfants, avec toi et ma grosse bedaine de 7 mois de grossesse, j’avais l’impression que le sol s’était dérobé sous nos pieds. Je n’avais pratiquement rien compris à ce que la charmante neuropédiatre m’expliquait : trop de lactate dans le sang… retard de la matière blanche au cerveau… Saguenay Lac-St-Jean… maladie dégénérative… PANIQUE!

Crédit : Jacinthe Laporte
 

Tu ne comprenais pas pourquoi je pleurais et, du haut de tes 18 mois, tu me flattais la joue. J’avais pris des photos de toi dans ta belle petite robe près du sapin de l’hôpital. Et puis, dans un brouillard sans nom, j’étais allée machinalement me garer en face du bureau de Papa au Centre-Ville.
– Allô chéri? Tu finis bientôt?
– Euh… pas vraiment pourquoi? 
– Ah euh… pour rien, pour rien… (snif-snif) 
– Ça va? La petite va bien? 
– Ils pensent qu’elle a l’acidose lactique! Ta famille vient-elle du Saguenay, toi?

Maladie dégueulasse s’il en est une. C’est celle qui a emporté les enfants du Pierre Lavoie. Ton Papa est sorti de son bureau, bouleversé. Nous avons décidé d’aller quand même chez le Père Noël : nous avions des choses à lui demander.

Les semaines ont passé. Les tests se sont succédé. Les scans, les prises de sang, les inquiétudes, les nuits blanches, les gros sanglots ravalés. Nous avions décidé de taire le tout pour garder l’innommable à distance. En n’en parlant à personne, pas de risque d’avoir à répondre à une question entre deux morceaux de tourtière. Les semaines passaient sans qu’on ne sache ce que tu avais, mais comme tu semblais en bonne forme et sans douleur, les rendez-vous suivaient leur cours à un rythme fucking trop lent régulier. C’est bien, parce que les urgences gardent leur statut, mais c’est paniquant de ne pas savoir. Sur des mois.

Ton papa et moi n’étions pas au diapason. Toujours décallés dans nos réactions : l’un en déni pendant que l’autre panique et vice versa. Et puis, je devais me préparer à accoucher! Ce bébé n’avait plus aucune attention de ma part – je l’oubliais! J’avais tellement peur qu’il naisse avec des gènes étranges, comme toi! Nous étions déjà référés en génétique et nous continuions à te piquer et te repiquer comme un toutou abîmé qu’on recoud.

Le jour où la neuropédiatre a officiellement déclaré que ce n’était pas l’acidose lactique (la maladie du Saguenay), j’ai fondu en larmes. J’ai pu me remettre à t’imaginer vieillir avec nous. Puis ta sœur est née – très différente de toi – et son sang de cordon est au congélo quelque part, au cas où tu en aies besoin.

Crédit photo: ma fille en extrait de la photo 70471129 par martinedoucet/iStock
 

Tout le monde te connaît à l’hôpital. Nous y allons en poussette et tu y traînes ta petite poussette et ton bébé : une procession de poussettes de divers formats. La neurologie t’a référée en génétique, la génétique t’a envoyée en physiothérapie et en hématologie, l’hématologie a suspecté une forme rare de leucémie. Nous avons aussi visité la gastroentérologie. Tu es la seule petite fille dans le monde à avoir un taux sanguin de B12 plus élevé DE BEAUCOUP que la normale. 4635 plutôt que 300, genre… (t’en fais pas, moi non plus j’y comprends rien). J’ai compris par contre, que ton foie est granuleux et que tu as du glutamate au cerveau (hein?). Et que ce sont de grands mystères. Tes médecins se parlent entre eux. Ils se grattent la tête en comités. Ils ont parlé à des spécialistes de deux autres hôpitaux.

Quand tu fais trop la peste, ton papa et moi nous lançons parfois des œillades pathétiques pour se rappeler de redoubler de patience envers toi… Et si tu mourais dans quelques mois, dans quelques années? Ce sont des réflexions atroces que nous tentons de refouler, mais ça relativise parfois les crisettes du quotidien. Et nous pensons tellement souvent à tous ces parents d’enfants aux prises avec des problèmes de santé beaucoup plus graves que ces mystères asymptomatiques de ta génétique!
 
Nous avons su ce matin que cette sale leucémie rare était une imposture. Tu ne l’as pas. J’ai failli éclater en sanglots. De soulagement. De joie. (Et un peu de découragement aussi car ça signifie qu’on ne sait pas davantage ce que tu as et pourquoi ton foie se dégrade ainsi.) 

De plus, nous avons rencontré ta généticienne par hasard dans le couloir, en sortant du bureau de la gastroentérologue :
– Ah! Vous! J’allais vous téléphoner! Bonne nouvelle, j’ai trouvé une spécialiste à Copenhague qui étudie précisément les taux de B12 trop élevés. Elle attend des échantillons de votre fille pour les analyser. C’est peut-être une protéine qui lui manque. J’ai un patient absent, avez-vous du temps? Je peux courir au labo pour voir s’ils peuvent nous recevoir maintenant. On pourra envoyer le tout au Danemark demain matin.
– (Hein? Sommes-nous vraiment dans un hôpital du Québec, chéri pince-moi!) Bien sûr, allons-y!

Piqûres, encore. Tu deviens de plus en plus courageuse. Nous te gavons de Rockets après, pour te faire oublier – pour se faire pardonner. Ce matin, on t’explique que tes petits tubes s’en vont en voyage, en avion loin-loin. Ça t’impressionne beaucoup. Nous aussi. On voudrait juste savoir, mon bébé… savoir que ton foie ne va pas nous lâcher en cours de vie sans qu’on ait vu venir. Sans qu’on ne l’ait empêché.

Crédit : Jacinthe Laporte
 

Ton sang s’embarque pour Copenhague demain matin. Nous, nous remballons notre cœur dans nos attentes angoissées, mais nous savons enfin que cette leucémie de nos cauchemars… elle peut aller se rhabiller, comme cette foutue acidose lactique. Nous gardons la foi. Je n’espère plus qu’une chose : m’entendre dire par le plus grand spécialiste du monde (en danois) – lille mutant kære – que tu n’es qu’une charmante petite mutante génétiquement modifiée et que ça n’aura aucune incidence sur ta longue et belle vie.
 

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