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Soif de liberté, mousse de thé chai et bout de soleil dans un parking.
Crédit: Kristen McPeek

J’ai des flashs, parfois. Je vois mon corps ouvert. Tous les détails de mon intérieur m’apparaîssent. La chaleur du sang mêlée aux odeurs médicamenteuses. Ça sent l’accouchement, dans ma tête.

J’ai incliné le siège avant de la voiture. En me tordant le cou, j’aperçois ce qu’il reste de bleu dans le ciel de ce samedi d’après-midi. Je ferme les yeux. Ma tête se remplit du va-et-vient des voitures. Le ressac est apaisant. On dirait presque l’effleurement d’un vent de bord de mer. Sauf qu’au lieu d’être à la plage, je nous ai garées dans un stationnement. J’ai vu sur le boulevard Taschereau et sa tapisserie de restaurants rapides. 

Je me suis jurée que si mon plan d’évacuation marchait, je laperais à petits traits un latte au thé chai. Et c’est ce que je fais, right now. Après avoir bercé sans succès mon bébé pendant une heure et demi, je nous ai mises dans la voiture. Nous avons fendu l’air, traversé la course des véhicules. Quand le gris bétonné s’est mis à se répéter jusqu’à plus soif, ma petite fille s’est enfin endormie.
 

Crédit : Anne Genest

Nous nous sommes garées n’importe où, au premier café. J’ai donné en chuchotant ma commande au commis du drive-thru et j’ai ajouté « avec beaucoup beaucoup de lait en nuage. » Je nous ai parké là où il y avait de la place. Et tout est redevenu doux.

Dehors, maintenant, les gens marchent au ralenti à cause du vent. On aurait dit que le temps est en slow motion pour mieux reprendre son souffle.

Le moteur de ma voiture est éteint. Les pleurs de ma Laure aussi. Mon char assis sur l’asphalte reste immobile. Des traits jaunes délimitent ma liberté. J’ai tout juste une place de stationnement pour garer ma tête. 

J’ai mis les pages blanches de mon cahier sur mes genoux. Les mots forment des lignes de fuite. 

J’ai 10 minutes pour reprendre mon souffle. Dix minutes avant que ne s’ouvrent les yeux de Laure, que tombe de mes doigts le stylo et que la vie reprenne. 

Une lumière claire nettoie le ciel. Mon corps blanc est étendu. Et l’image de sa déchirure prend de nouveau toute la place dans ma tête. 

Mon identité tranchée par le milieu. Moi, obstinément ouverte. Je ne savais pas qu’accoucher entaillerait autant mon imaginaire. Et que ce corps (que je pensais connaître) m’apparaîtrait désormais en images impromptues, n’importe quand. Une prise de conscience de ma fragilité lancinante. Je suis une plaie ouverte recrachant tout ce que j’ai renfermé jusqu’ici. 

On parle du travail de l’accouchement et du travail de la mort. En mettant au monde, on achève aussi une part de son innocence. Et on s’approche à petits pas vers la fragilité.

Sur la banquette arrière, une existence toute neuve se réveille. Je l’entends reprendre corps. Peu à peu, se remuer. Mon cahier est aussitôt abandonné. J’ai toute une vie (et ses instants) à cueillir. 

En tant que mère, quelles réflexions nouvelles vous habitent?

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