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Ces parents qui perdent des enfants trop tôt.
Crédit: Shandi-lee/Flickr.

J’avais huit ans. J’attendais avec impatience l’arrivée de mon petit frère à la maison, accompagnée de mon autre petit frère et de ma petite sœur. Je crois que ma grand-mère nous gardait, mais je ne me souviens plus trop. Puis, ils sont arrivés. Les bras vides. Sans frère. Sans rien du tout. Mon père m’avait tendu une carte signée par les employés de l’hôpital. Il m’avait demandé de la lire à voix haute. Je l’avais lue. Je ne l’avais pas comprise. Même si le champ lexical tournait autour d’un seul mot : mort.
 
La mort avait toujours été un sujet de conversation quotidien chez nous, alors je ne voyais pas pourquoi on en faisait tout un plat ce soir-là.
 
Même si je lisais « condoléances », « sympathie » et « ange », ça ne voulait rien dire pour moi. Mon sourire était encore bien accroché au milieu de mon visage et je continuais à demander à mon père où était Clovis. Mais Clovis ne viendrait pas, il n’est jamais venu. Il était mort. Mort d’être né trop tôt. Pourtant, il y avait une photo. Certes, il avait la peau plus rouge que les bébés que je voyais dans les films et il était plus petit, mais je ne comprenais pas ce que ça signifiait.
 
Je ne comprenais pas pourquoi les gens pleuraient. Je ne comprenais pas pourquoi mon père fixait le vide, assis dans son fauteuil. Je comprenais encore moins qu’il n’ait rien à dire, lui qui était toujours si prompt à parler. Puis il y a eu la cérémonie. Le petit cercueil blanc. Encore une fois, je n’arrivais pas à être triste. Il était enfin là! devant moi, dans sa petite boîte. Pourquoi les gens étaient abattus? Je caressais la boîte. Sur le portrait de famille, je suis la seule qui sourit. C’est au moment de l’enterrement que j’ai commencé à comprendre.
 
Pourquoi creusait-on un trou? Pourquoi y avait-il une pierre tombale portant son nom? Pourquoi mettait-on la boîte dans le trou? Comment allait-il pouvoir respirer? Je me souviens de cette journée comme si c’était hier. Ces souvenirs ne m’ont jamais quittée.
 
Lorsque je suis tombée enceinte, j’ai vécu cette crainte non pas les trois premiers mois, mais chaque mois. Chaque semaine. Pour ne pas dire chaque jour. C’était presque devenu une obsession : et s’il mourrait? Dès que je le sentais moins bouger, dès que je ne prenais pas de poids, dès que mes ligaments tiraient, j’avais peur que ce soit à cause de ça.

Une journée, j’ai vraiment cru que ça y était. Je ne me sentais pas bien, je voyais des points noirs, mon ventre me faisait mal. C’est quand j’ai entendu mon copain me dire « Ça se peut pas là! Ça ne peut pas être ça! » avec des larmes dans la voix que j’ai réalisé que je ne saurais pas ce qu’on ferait si ça nous arrivait.
 
Finalement, après une visite à l’urgence, on a découvert que c’était autre chose, mais pas ça. Dire que nous étions soulagés est un euphémisme gros comme le monde. Nous n’étions pas soulagés, nous recommencions à respirer.
 
Lorsque j’ai ouvert Facebook il y a quelques semaines, j’ai lu quelque chose comme : cette nuit devait naître notre fils, mais il est mort avant d’avoir pu vivre.
 
Ça m’a donné une claque. Une grosse claque. Ils étaient entrés à l’hôpital avec toute l’espérance du monde. Après neuf fois de gestation, tu crois toujours être à l’abri de ce genre de complications. Tu te dis que ça ne peut arriver que les 12 premières semaines. Sa femme venait de changer sa photo de profil pour un cartoon de femme enceinte sur le bord d’exploser. Ils avaient tous les deux mis une photo du lit du bébé en photo de couverture. Ils étaient prêts, t’sais. Ils avaient hâte. Mais ce n’est pas arrivé.

Pour une des rares fois dans ma vie, j’ai ressenti de la sympathie (à ne pas confondre avec empathie). Malgré moi, je me suis mise à leur place (du moins, je me suis imaginé à leur place). Mon cœur battait si fort que ça me faisait mal. Ma tête répétait en boucle : « Non, non, non, c’est impossible. Ça ne peut pas arriver ces choses-là. »
 
Mais oui ça peut arriver. Ça arrive. Pas souvent, mais beaucoup trop souvent quand même. Juste parce que ça ne devrait jamais arriver. Je ne sais pas si ces parents sont courageux. J’ai déjà lu une survivante du cancer écrire que le courage n’avait rien à voir quand on n’avait pas le choix, alors je me garde une gêne, mais ce que je sais, c’est que t’as pas le choix de devenir fort.
 
De devenir fort pour toi, pour celui ou celle qui partage ta vie. Pour les autres enfants, s’il y en a. Je n’ai pas de mots, pas de punch pour terminer mon texte. Un jour, j’ai lu que la vie était juste, car elle était injuste envers tout le monde, mais cette injustice-là, je ne la comprends pas. 
  

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