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Après le mois de mai : premier mouvement, la peur.
Crédit: Daniel/ Flickr

Pour la cinquième ou sixième fois de la journée, j’allaite Aimé, mon bébé de deux mois, petit frère de Paul, mon bébé parti trop vite. J’aime allaiter. Je fais partie des chanceuses pour qui ce n’est pas compliqué. Je laisse mon esprit dériver, mon corps se relaxer dans le fauteuil où je suis installée, tout mon être en manque de sommeil apprécie ces instants de repos relatif.

Soudain, je prends conscience de l’immobilité d’Aimé. Il a cessé de téter depuis quelques secondes, ou une minute peut-être.

Je le caresse pour sentir un mouvement à nouveau. La demi-seconde qu’il prend pour réagir suffit à faire monter la panique en moi. Pendant un bref instant, j’ai peur que ce que je redoute le plus se soit produit, peur que mon bébé ait cessé de respirer. Encore. 

Plusieurs parents me disent vivre avec cette peur. Même mon amie si relax se lève la nuit pour aller vérifier que ses enfants respirent toujours. Mais pour moi, cette peur est là, juste sous la surface, toujours prête à me submerger. La nuit quand Aimé dort, mais aussi le jour quand je le promène en poussette ou en porte-bébé. Ou quand j’allaite. Cent fois, alors, je vérifie que tout va bien. Un regard dans le rétroviseur, un doigt que j’approche doucement sous son nez, le temps de sentir le souffle chaud qui s’en échappe, une main sur la poitrine, pour la voir s’élever et s’abaisser avec régularité.

Cette peur m’habitait pendant ma grossesse. Cent fois, alors, j’ai interrogé ce petit être qui poussait en moi, lui demandant de me rassurer par un mouvement, les deux mains posées sur mon ventre. Sentant peut-être à quel point j’avais besoin d’être apaisée, il bougeait, faisant baisser la tension dans ma gorge avec chaque coup de pied. J’avais hâte d’arriver à l’issue de ma grossesse, mais la peur ne m’a pas quittée avec la naissance d’Aimé. Elle vit en moi, me demandant chaque jour de l’apprivoiser.

Et chaque jour, je crois, je gagne un peu de terrain. Chaque jour, j’arrive un petit peu mieux à tenir la terreur en respect pour profiter du quotidien avec mon bébé, pour me laisser émouvoir par ces instants partagés. Les petits sons qu’il fait, éclats de bonheur qui résonnent dans toute la maison. Son air parfaitement serein quand il prend un bain, ses membres en suspension dans l’eau tiède. La douceur de sa peau, la délicate chair de poule quand il a un frisson. L’éclat de ses yeux qu’il lève vers moi alors que je l’allaite. Les sourires, les petites mains qui commencent à attraper les objets maladroitement, mais qui savent déjà si bien agripper nos doigts.

J’essaie de profiter de chaque instant. En découvrant tous ces moments, tout ce que je n’ai pas pu vivre avec son grand frère, mon coeur se serre, mais tout à la fois, il se gonfle sans cesse de plus d’amour.

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