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La varicelle, survivre (ou pas)
Crédit: Anne Genest

Le bonheur de ma mère m’énervait. Sa radio nostalgie m’énervait. Son Ferrat avec qui elle fredonnait « Que c’est beau, c’est beau la vie! » Qu’en savait-elle ? Je la trouvais moche, moi, mon existence, avec mes yeux d’adolescente.

Par bouts, elle me semblait laide, si laide, la vie. Laide, malgré le beau que maman mettait partout. Il y avait du malheur, chez nous, que je ne voyais pas. Il était puissant, arrivait par trois : trois ventres à nourrir avec ce que maman pouvait, trois fois les pleurs, trois fois la maladie. Trois fois la varicelle. Cette peste de boutons rouge-panique qui transforme la beauté d’un bébé en charogne.

Le diable est dans le détail.

Sous la peau neuve de mon bébé courait la maladie. Je l’ignorais. Nous étions lundi, aux aurores. Je me préparais pour une semaine loadée. L’envie d’écrire me démangeait. 

Puis, pop! J’ai vu sous l’oeil droit de ma fille une boursoufflure. J’ai vu, cette rougeur se répéter, derrière les oreilles, dans le cou, sur le ventre. J’ai vu ma fille se gratter. Chercher à éteindre la démangeaison. J’ai tout de suite détecté la varicelle. Et j’ai compris que la semaine allait être occupée à soigner mon bébé.

Crédit : Anne Genest
 

Il me fallait, un à un, laver ces petits points au bicarbonate de soude, les éponger en tapotant, les badigeonner de calamine (ou pas) selon les points de vue fluctuants des infirmières.

Le jour suivant, les petites taches se sont répandues partout. Parce qu’elle n’arrivait pas à les gratter, mon bébé redoublait d’ardeur en pleurant. Et les pleurs se sont répandus dans la rue, dans tout le voisinage, toute la journée. Et la nuit, aussi, avec la fièvre, les vomis, la merde.

Nous étions enfermées. Parce que contagieuses. Mais nous avions faim aussi. Alors nous sommes sorties. Et j’ai compris que c’était une erreur. À l’épicerie, on nous a regardés comme si mon bébé était un enfant de Tchernobyl. 

Nous sommes rentrées. Devant le miroir, dans le vestibule, ma petite fille s’est regardée longuement. Les pleurs ont repris. Mais avec un son différent. La douleur n’était pas que physique. Ma petite fille de 15 mois l’avait compris. L’image que lui reflétait la glace la répugnait. 

Son sanglot était grave comme celui des grands. Je me suis sentie petite, pas assez bonne pour être mère, encore et toujours juste une enfant. Et j’ai mêlé ma peur, ma peine, mes pleurs avec ceux de mon bébé. J’étais dépassée, fatiguée. 

Après une semaine de soin intensif, je sais que je n’aurai pas d’autres enfants. Et comme ma mère, je n’aurais jamais la force de chanter, dans les épreuves, que la vie est belle. J’ai plutôt Leloup en tête en ce moment : laide, laide, comme la vie est laide laide… 

La varicelle vous a-t-elle déjà dévasté ? Vous avez fait quoi, dites-moi, allez?

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