Parler de la mort aux enfants, c’est toujours compliqué. Je me refuse, depuis leurs premiers questionnements, de tomber dans les clichés religieux du genre « Grand-maman te regarde assise sur un nuage, en jouant aux cartes avec Dieu. »
Parler de suicide avec son enfant, quand tu es l’enfant dont le parent s’est suicidé, c’est difficile. Très difficile.
Longtemps j’ai ignoré les questions de fiston. Il savait que mon père était mort et quand il voulait des détails je lui donnais un biscuit pour le distraire. Je me disais que 2-3-4-5 ans, c’est beaucoup trop jeune pour savoir que des gens peuvent vouloir mourir. Je voulais le protéger de ma douleur, je voulais l’empêcher d’avoir peur de l’abandon ultime.
Mais fiston vieillit et quand il m’a regardé droit dans les yeux en me demandant pourquoi son grand-père est mort, j’ai su que le temps était venu.
J’ai pris une grande respiration et j’ai croisé le regard plein de sollicitude de mon amoureux, qui me sait encore extrêmement sensible face à ce sujet. C’est une chose d’en discuter entre adultes, avec la carapace rationnelle du temps, parler des grands débats théoriques liés au suicide. C’est une autre chose de me replonger dans ma tête de petite fille, qui ne comprend toujours pas complètement, pour tenter d’expliquer à mon fils pourquoi un être humain peut mettre fin à sa vie. Lui dire que ça arrive même aux parents, qu’on imagine solides et présents pour tous nos problèmes, pour toute la vie.
Je lui ai parlé de la maladie mentale, pour commencer, pour excuser. Je lui ai dit que parfois on allait tellement mal que notre tête ne fonctionnait plus très bien et qu’on en venait à oublier pourquoi on est chanceux d’être en vie. Je lui ai dit, en ayant encore le coeur rongé d’incertitude, que mon père nous aimait fort mes soeurs et moi et qu’il aurait beaucoup aimé le rencontrer lui aussi, mais qu’il allait trop mal pour s’en souvenir à ce moment-là.
Il est resté songeur. Je me suis mise à culpabiliser, convaincue de l’avoir traumatisé comme je voulais absolument éviter de le faire. Il m’a dit peu de temps après : « Je suis certain qu’il t’aimait très fort ton papa. J’aurais aimé le connaître. »
S’il savait comme j’aurais aimé pouvoir changer les choses. J’aurais aimé être assez grande au moment de son décès pour l’avoir vu venir, pour avoir pu lui prendre la main. J’aurais voulu être assez forte pour le soutenir. J’aurais aimé savoir quoi faire. L’empêcher. Je suis encore convaincue que même au plus bas, tout peut finir par s’arranger. J’aurais aimé qu’il le sache.
Je pense avoir finalement réussi à préserver mon fils du drame qui m’habite depuis seize ans. À ne pas lui faire porter mon sentiment d’abandon et d’injustice.
Comme parent, quand tout va mal, on doit à nos enfants de tout tenter pour survivre à nos démons. Il existe plusieurs ressources d’ailleurs, pour savoir comment vous aider ou aider un de vos proches.
Avez-vous déjà eu à parler de suicide avec vos enfants?